Tom Oh purée mais c'est absolument génial cette archive !
Oui je me suis bien amusé pendant cette recherche, les témoignages se savourent. J'aime beaucoup flâner dans la presse d'époque. Le choix des sujets, le traitement apporté et le phrasé utilisé suffisent en eux-mêmes à attirer l'attention. Lorsque la thématique est aussi fleurie, on s'y plonge sans s'arrêter.
En ce qui me concerne, je n'ai pas du tout été emballé par l'arrivée du numérique dans les salles de cinéma. Ce qui m'emballait, c'était plutôt l'arrivée du numérique en tournage. J'imaginais, un peu rêveur, que la technique liée à la pellicule, qui m'était très obscure, allait laisser la place à une technique simple et accessible, y compris pour moi qui commençais à maîtriser une forme de workflow numérique à travers la DV - je n'avais alors jamais mis les pieds sur un vrai plateau de cinéma. J'ai eu raison sur l'accessibilité avec l'arrivée des DSLR et leur capteur 35 mm, mais je me suis bien trompé sur la simplicité. En tout cas il est étonnant de voir la 3D comme l'accoucheur de la projection numérique, je ne l'avais pas vu sous cet angle. J'ai même tendance à penser l'inverse, que la 3D est une sorte d'opportunité offerte par la projection numérique, mais que l'objectif était avant tout de passer des bobines au DCP.
Si tu as des sources concernant les réactions de cinéastes à l'arrivée du cinémascope, je suis preneur. Il n'empêche que le scope a fini par s'imposer comme un standard malgré tout, même si, et notamment en France ou en Grande-Bretagne, la transition a mis du temps. D'ailleurs, le grand public ne sait même pas que le 1.85 est le standard cinéma réel, quand il va au cinéma, il s'attend à voir du 2.35.
J'en profite pour faire découvrir un petit site tout droit sorti des années 90 et qui s'attache à décrire les différentes tentatives d'élargissement de l'écran de cinéma, et donc de l'image de film, à travers les quelques standards qui ont traversé les années 1950, sans tous y survivre (dont le Cinerama, heureusement pour les opérateurs caméra et la moitié de l'équipe de tournage) : Widescreen Museum.
Je te suis sur le fait qu'il n'y ait rien d'absurde à imaginer une cohabitation des techniques, mais la pellicule est désormais une coquetterie, une forme de caprice. J'ai croisé, ces 5 dernières années, plusieurs réalisateurs, souvent jeunes, qui avaient réussi à tourner leur film sur pellicule, et aucun ne pouvait justifier réellement, techniquement, le choix de ne pas tourner en numérique. Un des films s'intéressait à une communauté juive moribonde d'un petit village du sud de la France, et la pellicule était censée accompagner, par une technique en voie de disparition, la fin d'un monde, d'un système, d'un ensemble de valeurs. Puisque rien de tout cela n'était visible à l'écran, un carton un tantinet outrancier expliquait la démarche et construisait le rapprochement en fin de film (ou au début, je ne sais plus). Parmi ces tentatives, la seule démarche qui m'ait semblé intéressante, c'est celle de Demi-vie à Fukushima, un documentaire sur la catastrophe qui misait sur l'effet de la zone elle-même sur la pellicule, comme ces négatifs mangés par les radiations à Tchernobyl.
On en voit ici un exemple, les dents d'entraînement de la pellicule protégeant par intermittence la montée des radiations du sol, qui en impressionnant progressivement la surface sensible, laissent des marques sur les clichés de ces scènes d'horreur que nous connaissons tous. Malgré tout, le résultat sur Demi-vie est en demi-teinte (je suis prêt à me faire embaucher par Libération) et je ne suis toujours pas convaincu. Dans tous les cas évoqués, les pellicules sont scannées, traitées numériquement, projetés sur un écran fait de pixels, et le dispositif est, à mon sens, en partie défait.
Et sache que je te dis tout ça en pratiquant la photographie argentique avec une tendresse infinie. Mon Canon AE1-P m'accompagne partout depuis 15 ans, je perds des fortunes à acheter de la pellicule et la développer, je perds un temps fou à scanner mes négatifs et préparer mes tirages. Mais j'ai conscience de mon excentricité et je ne fais pas comme si cette alternative était encore viable, comme s'il existait encore des boutiques de photographie à chaque coin de rue avec un développement et un tirage minute, comme s'il était encore raisonnable de miser sur le film pour composer les images que j'ai en tête.