Un topic pour discuter de toutes les théories de "mort du cinéma" ou de déclin du cinéma, passées ou présentes (parce que c'est pas nouveau !)
C'est parti d'une discussion avec Ardalion dans un autre topic , à propos des évolutions techniques récentes du cinéma envers lesquelles je me montrais réticent, et à laquelle je réponds donc ici :
Ardalion Tom Melville situait la mort du cinéma en 2020, j'ai l'impression que tu lui emboîtes le pas. En comprenant, je pense, ce qu'il a voulu exprimer, j'ai tendance à voir le cinéma comme un art mouvant, comme un ensemble de morts et de renaissances. Quelque chose est mort avec le son, avec la couleur, avec les VHS, mais quelque chose naît à chaque fois aussi. Le cinéma de 2020 n'est plus celui de 1970, et le cinéma de 2040 ne sera plus celui de 2020. De là à dire que plus personne ne s'y intéresse…
Pour le coup je ne pensais pas vraiment à un déclin lié à ses évolutions internes, qu'elles soient techniques ou esthétiques. Même si je pense que le passage forcené au numérique a été une erreur stratégique (la salle proposait jusque là quelque chose que l'écran plat de salon ne pouvait pas proposer), et que l'hégémonie Marvel est mauvaise pour la qualité du film populaire hollywoodien.
Mais je doute que ça explique le désintérêt des spectateurs, je n'y vois que des symptômes d'une industrie qui court en avant (par les franchises, par la course au progrès technique) pour essayer de rattraper un public qui regarde ailleurs. Un peu comme l'hypertrophie qui marquait le Hollywood des années 50-60 soumis à la métamorphose du public et à la concurrence de la TV, se traduisant par innovations techniques tous azimuts - 3D, cinémascope - et un spectacle de l'abondance pour qu'il en "ait pour son argent" (faire d'immense péplums avec 500 figurants à chaque plan).
De même, la passion actuelle d'Hollywood pour le méta, ou sa rhétorique actuelle de la surabondance (orgie de SFX, enjeux scénaristiques devenus maousse - on menace l'annihilation de l'univers un blockbuster sur deux), sont d'abord à mon sens des symptômes d'un déficit en croyance, qu'on essaie de compenser à perte.
C'est plutôt de la source de ces symptômes que je parlais pour le coup : d'une désaffection assez visible vers d'autres formes d'arts (jeux vidéo, contenu internet, et surtout séries), qui fait que le cinéma est en train de perdre le statut "d'art populaire central" qu'il avait eu durant tout le XXè siècle. Les gamins ne parlent plus tout excités du film qui sort le prochain mercredi et qu'il faut tous avoir vu dans la cour de récré ; on parle plutôt de la dernière série que du dernier film à la machine à café au boulot.
Je rejoins un peu les visions apocalyptiques de Thoret là-dessus : le cinéma est lentement en train de devenir ce que l'opéra est devenu quand le cinéma l'a supplanté. C'est-à-dire un truc soit artistiquement affadi et violemment industriel (Notre Dame de Paris , Jésus l'opéra rock , etc.) qui joue sur la débauche de moyens, soit un truc de niche réservé à une petite élite qui en a les codes (l'opéra Garnier et son public de riches et/ou retraités). Cette espèce de scission peut se trouver de la même façon dans le cinéma qui semble suivre le même chemin, entre l'hypertrophie de blockbusters et la radicalisation d'un cinéma d'auteur vu par quelques milliers de retraités en salle d'art et essai, sans parler de l'importance que prend le patrimoine dans l'édition actuelle.
Et sinon, pour ce topic, quelques perspectives :
● Il y a eu un courant de la "mort du cinéma" dans les années 80 , mené par Wenders, Godard, Daney, et quelques autres. Sans doute une conjoncture née de la montée en puissance de la télévision, de l'arrivée de l'esthétique pub au cinéma via le courant de la "nouvelle image", de l'émergence du blockbuster, de la chute du cinéma italien, et du déclin du cinéma moderne. Adieu Rita , un segment réalisé par André S. Labarthe pour l'émission Cinéma, Cinémas (à l'occasion conjointe de la mort de Rita Hayworth, et de Pialat sifflé en recevant sa palme à Cannes), en résume parfaitement la pensée :
De fait, les années 90 et les renouvellements qu'elles proposaient ont un peu sonné, selon l'expression consacrée, la "mort de la mort du cinéma".
● Plus récemment, Thoret a un discours un peu défaitiste sur le sujet , mais cette fois plus seulement fondée sur un constat artistique, mais aussi sur un constat sociologique (la disparition du cinéma comme art central). Il en parle par exemple dans cette émission (à partir de 6'46) :
VIDEO
Il en parlait aussi la même année en interviews écrites . Évidemment, ses vues se discutent, d'autant qu'elles ont un contexte chez Thoret, qui roule à l'idée d'un âge d'or 70's depuis lequel le cinéma ne serait que déclin, et qui coïncide avec la fatigue de son travail de critique, qu'il abandonnait alors.