Ardalion Je proteste gentiment parce que pour moi ce sont deux choses différentes, mais c'est toi le patron.
Ha je sais pas, sinon un autre topic ? Ou sinon renommer celui-ci pour en faire un truc plus général concernant les échanges esthétiques entre pelloche et numérique ? (on peut attendre un peu de voir où le topic va pour ça).
Ardalion Et comment se traduisait cette volonté de démarcation ? Par l'usage terriblement outrancier de la faible profondeur de champ, et des focus pull à ne plus savoir qu'en faire.
Tu as raison, je me rappelle très bien de ce moment-là : je travaillais à la sélection d'un festival documentaire à cette époque, et on a vu arriver en masse des films gorgés de flou en à peine un an. Je dois d'ailleurs être honnête : dans mes propres petites réalisations semi-amateures, le flou était ce après quoi je courrais le plus (y remédiant au tractopelle par un emploi abusif des longues focales / zoom), car c'était ce qui manquait le plus cruellement aux caméra DV, ce qui faisait le plus "différent" d'un "vrai film" (avec l'entrelacement - la course au bon filtre de désentrelacement était d'ailleurs aussi une marotte de ces années-là ; il y avait aussi la hype pour le "kit 35" permettant d'en reprendre les objectifs).
Cela dit, au festival, l'arrivée de ces films pleins de flou (qui étaient aussi les premiers films HD semi-pro) étaient contemporains de ce syndrome de la "belle image" comme substitut de mise en scène – c'est à cela que je fais référence en parlant d'image instragram : pas forcément d'une influence directe, mais plutôt d'une pensée dont instagram ne fut qu'un symptôme (quoique le plus voyant), une pensée qui croit que "élégance" = "mise en scène" et que "filtre" = "travail de lumière".
Alors que l'image DV, qui était fondamentalement ingrate, obligeait les cinéastes à faire des choix rigoureux de mise en scène (car sinon ça s'écroulait immédiatement), l'arrivée du HD via 5D s'est caractérisée, dans les films reçus pour notre sélection, par une flopée de films impeccable, élégants, mais soudain très plat sur le plan de la réalisation, jouissant de la belle image avant tout (c'était notamment frappant chez les allemands, bizarrement). Ça a bien mis 5 ans à se calmer. Pour faire une comparaison, ça me faisait beaucoup penser à ce qui s'était passé à un moment dans le jeu vidéo, au détour des années 2000, avec la course au photoréalisme qui paraissait parfois soudain être devenu le seul enjeu, prioritaire sur toute pensée visuelle, ou même sur le gameplay.
Ardalion Peux-tu élaborer ton propos sur l'étalonnage du Seigneur des Anneaux ? Hors VFX, à quoi penses-tu lorsque tu dis que les films reposent sur le mariage du numérique et de la pellicule ?
Je dis ça parce que ce sont des films tournés en pellicule, mais qui sont les premiers films mainstream, il me semble, à avoir investi aussi massivement les possibilités de l'étalonnage numérique (il y avait d'ailleurs beaucoup de barouf autour du fait qu'ils avaient scanné la pellicule pour se faire, à l'époque). J'avais vu tout un making-of dédié à l'étalonnage sur le DVD, qui montrait l'impact (totalement nouveau alors) de l'étalonnage sur l'image générale, la lourdeur des filtres utilisés, le jeu avec l'attention du spectateur à l'intérieur-même du plan (en illuminant tour à tour tel regard ou tel autre), etc. Je suppose que l'aspect visuel "cire" si caractéristique du film, qui a tant influé, vient en partie de là, de même que le look très contrasté de l'image (ainsi qu'une probable volonté de dégrainer et de sur-étalonner pour mieux intégrer les CGI).
Je ne trouve plus ce making-of sur le net malheureusement, tout ce que je vois sur youtube concerne les ré-étalonnages successifs de la trilogie pour ses rééditions dans les décennies suivantes (chacun étant assez caractéristique des évolutions des modes : gros filtres bleus bourrins pour crier qu'on est adulte dans les années 2000, couleurs plus saturées avec noirs et contraste qui pètent pour la décennie OLED...)
A noter que des années plus tard, l'étalonneur (Peter Doyle) a fait un travail d'étalo massif et passionnant sur le Faust de Sokourov (y avait tout un dossier dans les Cahiers montrant le processus préparatoire à base de palettes de couleurs pour chaque scène). On y reconnaît très bien son style, cette façon de jouer des couleurs froides (nuances de verts-bleu) avec percées de clairs trop brillante, avec surtout cet étalonnage numérique outré qui n'essaie même pas de se faire discret.