Je ne comprends pas du tout comment les films de la 5è génération ont pu être produits face à un pouvoir qui, quelques années plus tôt, avait réprimé Tian'anmen. Notamment ces trois films iconiques de la période :
Dans Vivre ! (Zhang Yimou, 1994), on nous montre une famille détruite par la révolution culturelle : Un enfant tué à cause du trop grand effort demandé par l'antenne communiste locale, avec l'acceptation des parents par peur de paraître de mauvais citoyens ; un zélé chef de quartier accusé de capitalisme, et qu'on ne reverra pas ; un propriétaire qui aurait pu être le héros, et qui se retrouve fusillé ; la révolution culturelle et son écartement des élites qui provoque la mort d'un deuxième enfant...
Dans Adieu ma concubine (Chen Kaige, 1993), on nous montre une groupe de personnages et un art détruits par la révolution culturelle : L'opéra doit se reformer vers plus de laideur ; les personnages sont forcés de s'accuser les uns les autres, menant au suicide de l'une, puis d'un autre dans le final.
Le Cerf-volant bleu (Tian Zhuangzhuang, 1993) est plus lointain dans mon souvenir, mais il me semble qu'on y retrouve une cellule familiale détruite par la révolution culturelle : Souvenir notamment de la mère qui baffe son enfant quand il participe à l'humiliation de son institutrice, et ça finit quand même sur l'enfant au sol et ensanglanté...
Alors certes, les films ne sont pas fondamentalement anti-communistes, au sens où ils seraient contre l'idéologie communiste : les deux premiers montrent bien par exemple les injustices de l'ancien monde (la violence engrangée par la pauvreté, et qui broie aussi les personnages à sa manière). On a disons l'impression d'une belle idéologie (le communisme) qui aurait mal tourné... Mais ça me semble quand même bien peu pour donner le change, surtout que les deux derniers ont une fin pessimiste, qui semble faire un constat d'échec total (c'est plus ambigu pour le premier).
On va me répondre que ce ne fut pas sans conséquence : Zhang Yimou et Gong Li sont interdits de tourner deux ans après Vivre!, et le film ne sort pas ; le film de Kaige sort coupé de bien des scènes. Ces films sont aussi protégés, sans doute, par leur immense succès à l'étranger en festival (la palme d'or pour Chen Kaige). Mais tout de même : comment leur scénario a-t-il pu être validé ?
Comparés au cinéma populaire chinois d'aujourd'hui (ses blockbusters), ces films de la 5è génération semblent inimaginables. Quand quelque chose s'exprime dans le cinéma populaire chinois aujourd'hui, il me semble que c'est vraiment de manière très très très sous-entendue (par exemple dans le Detective Dee de Tsui Hark, avec le pouvoir, personnifiée par l'impératrice, qui va chercher le génie/le cinéaste le temps d'une mission, qui accepte de travailler pour elle pour ce temps-là, mais qui repart ensuite dans l'ombre et loin du pouvoir).
L'évolution pompière de la carrière de Zhang Yimou, qui semble à présent bien innofensive, est aussi parlante d'une évolution vers quelque chose de bien plus docile.
Qu'est-ce qu'il se passait au début des années 90 pour que ces films soient possibles ?
Pour la 6è génération, il me semble que l'explication de leur relative subversion (la peinture qu'ils font de la Chine est ignoble) est plus simple (mais je peux me tromper, je connais pas la période très bien) :
Ce sont des films qui sont nés de la clandestinité (un des films fondateurs de cette génération, c'est À l'ouest des rails, filmé entièrement en DV), qui en ont gardé les stigmates par leur petite économie.
Ce sont des films très exigeants, très auteuristes, qui sont sans doute moins vus donc moins dangereux, tout en récoltant en festival des prix qui flattent le pays.
Il reste que la peinture du présent (même pas du passé, mais cette fois bien du présent) de la Chine est féroce, désespéré, presque des tableaux d'apocalypse, de monde abandonné, sans loi, règne des trafics, à l'extrême opposé que ce que le régime doit vouloir montrer de lui. Et certains films récents (comme Le Lac des oies sauvages) sont d'une facture qui les rend diffusables à un plus large public que celui, restreint, des salles art et essai.
Donc là encore : comment, dans le contexte politique actuel, ces films peuvent-ils exister ?