Je ne sais pas si le documentaire agricole ou paysan peut constituer un "genre" en soi, même si il y a pas mal de grands noms du documentaire (Henri Storck, Raymond Depardon...) qui s'y sont attelés, et qu'il me semble que cela a aussi fait partie du panel typique des documentaires de propagande soviétiques dans la seconde moitié du siècle. Ce serait intéressant en tout cas de voir les formes que cela a pu prendre, d'observer si une codification a émergé (des motifs et des formes voisines). De se demander, aussi, si ça a existé en-dehors de quelques pays d'Europe, et si non pourquoi...
Bref, j'ouvre surtout ce topic à l'occasion de la mise à disposition, sur Gallica, des films d'Armand Chartier (1914-2002), dont la BNF vient de récupérer les collection suite à un don. Chartier est l'homme qui a dirigé la Cinémathèque du Ministère de l’agriculture français de 1947 à 1983 (oui, aussi bizarre que ça puisse paraître, il y a eu un département cinéma au ministère). Un premier article de la BNF (premier d'une série sur le cinéaste, ici consacré à ses films sur l'éducation) en fait un résumé :
Alors que la Politique agricole commune est lancée en 1957, la loi du 2 août 1960 relative à la modernisation de l’enseignement agricole et à la formation professionnelle (Debré-Rochereau) est l’acte de naissance de l’enseignement agricole moderne. Sa mission : contribuer au développement accéléré de l’agriculture française qui entre dans le Marché commun.
L’arrivée d’Armand Chartier à la tête de la Cinémathèque du Ministère de l’agriculture en 1947 coïncide avec cette modernisation de la formation. Il y produit des films à l’évident caractère didactique, avec des moyens techniques importants et un vrai souci de qualité cinématographique. Dès 1947, il passe lui-même à la réalisation.
Rappelons que nous sommes une dizaine d'années avant l’apparition du son direct. Pour contourner la difficulté de la prise de son documentaire, Armand Chartier a presque toujours recours à une voix off qui assume en même temps une fonction pédagogique. Toutefois celle-ci va s’estomper au fil des années, et Chartier l’utilisera avec une maîtrise et une subtilité grandissantes.
L'article de cet extrait est disponible à ce lien, où sont également visionnables cinq premier films documentaires consacrés à l'éducation agricole : https://gallica.bnf.fr/blog/27042022/quand-la-france-des-annees-60-formait-les-paysans-du-futur
Et c'est un peu curieux, de ce que j'ai survolé des films : à mi-chemin entre la mise en scène très contrôlée/reconstituée/fictionnalisée du documentaire des années 50, et le témoignage cru de cinéma direct des années 60 (quand bien même ce témoignage est cantonnée à la voix-off). On aboutit à des films qui prennent volontiers la forme du portrait, et qui ont l'air tout aussi intéressés par les angoisses des jeunes ados, et même par leurs émois sensuels explicites, à ce moment charnière de la libération de la jeunesse. L'un des films aura d'ailleurs des problèmes avec la censure.
Sur la page, on peut donc visionner :
- La leçon des chemins de l'été (1957, 19 min), sur la fin de l’année scolaire dans un petit village du Jura
- La dernière garden party (1962, 18 min) sur la garden-party de fin d'année de l'Ecole vétérinaire d'Alfort.
- La sonnette (1966, 34 min), sur le quotidien de jeunes internes masculins en lycée agricole.
- Sylvie (1971, 26 min), un portrait qui permet de découvrir l'univers lycéen côté fille.
- Danielle (1969, 26 min), sur une femme qui fut provisoirement affectée au lycée agricole d'Antibes pour l'animation socio-culturelle, et qui fait le bilan désenchanté de son travail et de sa vie (suicide, couple, sensualité...).
Les copies ne sont pas présentées dans une qualité idéale, mais assez pour se faire une idée. Assez curieux en tout cas, je n'avais pas idée qu'une telle production existait.