En essayant de baliser les grands lignes du cinéma mexicain classique pour un cours, il y a quelques années, je suis tombé sur une contradiction que je n'ai jamais réussi à résoudre. Peut-être quelqu'un pourra-t-il m'aider là-dessus.
Voilà ce que j'ai réuni comme infos.
Dans les années 30, notamment avec Allá en el Rancho Grande (Fernando de Fuentes, 1936), naît un "genre", le ranchero, qui est en fait plutôt un "type" de film qui s'accorde à plusieurs genre (drame ranchero, comedie ranchera...).
Le ranchero met en scène une vie campagnarde idéalisée (et déjà un peu passéiste/nostalgique d'un Mexique rural qui commençait à disparaître, à l'époque), se déroulant dans les hacienda (grandes exploitations agricoles). On y retrouve des figures de propriétaires et de paysans, la figure du péon (indigène) notamment, pour des récits souvent centrés autour de la structure familiale. On y exalte les soirées à jouer de la guitare, les jeunes filles pures, la vie campagnarde calme. Le rythme est lent, les problèmes et conflits parfois étonnamment désamorcés ou apaisés. Tout ça donne dans les années 40 les ranchero d'Emilio Fernández, les plus connus, qui déduisent toute une esthétique de cette posture initiale (grands espaces ruraux, immenses ciels, suspensions, mélancolie infinie, etc).
Ce que je ne comprends pas, c'est que le ranchero est plutôt réactionnaire : dans Allá en el Rancho Grande, on exalte l'amitié entre le patron propriétaire et son employé (comme le montre la photo ci-dessus), chacun bien à sa place dans un monde nostalgique éternel où rien ne doit changer, on conspue d'ailleurs même dans ce film les communistes...
Or de 1935 à 1940, on est sous la présidence "autoritaire" (dixit wiki) de Lázaro Cárdenas, qui voulait faire du Mexique un pays socialiste par des nationalisations... Alors on peut se dire que le Mexique était libre dans sa création, sauf que le ranchero semble totalement participer d'une politique active entreprise par ce même gouvernement, contre l'emprise d'Hollywood : soutien aux sociétés de production purement mexicaines (films nationaux dégrevés de toute taxe en 1937), apparition de scénarios inspirés de l'Histoire mexicaine (la révolution devient un réservoir mythologique), pays montré sous l’angle de la coutume et des mœurs ("Costumbrisme"), création d’un Mexique conventionnel...
Donc comment cette contradiction est-elle possible ?
Je peux encore comprendre pour les Ranchero de Fernández, qui sont des années 40, sous la présidence de Manuel Ávila Camacho qui opère semble-t-il un virage assez marqué à droite :
"Il opère un net virage à droite. Le soutien aux couches populaires est remplacé par la recherche de l’harmonie sociale et de l’unité nationale" (wiki français)
Mais je ne sais pas à partir de quelle date exactement ce retournement a lieu (en 1943, avec le IMSS, il promulgue une loi sociale, par exemple). Il semble que la réconciliation avec la religion qu'on voit notamment reflétée dans Enamorada (Emilio Fernández, 1946), coïncide avec sa politique sur la question :
Since the revolution, all presidents had been anticlerical. During Camacho's term, the conflict between the Roman Catholic Church in Mexico and the Mexican government largely ended. (wiki anglais)
Donc on serait dans un moment de réconciliation réactionnaire, de recherche de "l’harmonie sociale et de l’unité nationale" comme le dit le wiki français.
Mais comment expliquer que cette tendance soit déjà présente en 1936 chez Fuentès, alors qu'on est encore sous Cárdenas ?
Bref, si quelqu'un arrive à m'aider à démêler tout ça, ce serait avec plaisir. D'autant que la révolution mexicaine des années 10, contexte scénaristique de beaucoup de ces films, est un foutoir auquel je ne comprends rien (et j'ai bien du mal à décrypter la position des films sur la question, qui ressemble à un gigantesque "allez, serrez-vous la main et arrêtez de vous disputer").