Un article du Monde d'aujourd'hui revient en détail sur la nomination d'Iris Knobloch à la présidence du festival à la succession de Pierre Lescure, et sur les secousses que ça a provoqué en interne.
Il semble donc que la raison initiale de ce changement fut que le gouvernement était surtout pressé de mettre une femme à la tête de l'institution, quitte à court-circuiter un peu tout le monde (Pierre Lescure qui commençait à organiser cette transition, et surtout le conseil d'administration qui pour la première fois valide une candidature sans qu'elle fasse l'unanimité en son sein).
Parmi les noms envisagés : d'abord Mercedes Erra (publicitaire et fondatrice et patronne de l’agence BETC, proche de Pierre Lescure d'ailleurs mais qui de son propre aveu a des qualifications qui ne sont pas celles associées au poste) qui fut proposée par Macron lui-même, puis Véronique Cayla (ancienne présidente d'Arte), Sylvie Pialat (écartée pour conflits d'intérêts criants), Frédérique Bredin (ancienne présidente du CNC), Laure Adler, Isabelle Giordano, Anne Sinclair, Audrey Azoulay (proposée par Frémeaux mais écartée par l'élysée car "incompatible avec sa place à la tête de l’Unesco" pour défendre un festival français face à Berlin - pas compris pourquoi)...
Bachelot, visiblement a poussé le choix final :
Avec ses mains, Roselyne Bachelot fait le signe d’un entonnoir : « Ça se resserrait, comme pour le souriceau qui va vers le morceau de fromage… Face aux défis qui se posent au Festival – la crise sanitaire, la question des plates-formes, les débats de #metoo et les enjeux du développement durable – et à la grande insatisfaction d’un conseil d’administration qui se vit comme une simple chambre d’enregistrement, il fallait quelqu’un qui soit à l’aise dans le contexte international, qui parle parfaitement anglais, donc, qui ait l’habitude de la gouvernance. » (...)
« Elle n’était pas candidate. C’est moi qui l’ai incitée à l’être », affirme la ministre. Du côté de l’Elysée, on s’assure néanmoins qu’elle est « Frémaux-compatible ».
De manière générale, c'est la méthode de passage en force sans consultation par le pouvoir, presque davantage que le nom de Knobloch lui-même, qui a fait vivement réagir le conseil d'administration :
Personne ne comprend vraiment la fébrilité qui a saisi le gouvernement de vouloir ainsi, cet hiver, régler en urgence une affaire sans urgence. Trouver une solution avant la fin du quinquennat ? Eviter d’avoir à y placer une ministre en quête de point de chute ? « Il a suffi de mentionner le nom de Marlène Schiappa pour que Thierry Frémaux reste coi », se marre un haut fonctionnaire.
Bref, la candidature fut finalement appuyée par l'actuel directeur du CNC pour des raisons étranges (« Il faut faire revenir les films américains au Festival de Cannes »), par Serge Toubiana (ancien patron de la Cinémathèque française) et d'autres, et convient à Thierry Frémaux.
Mais il y a donc des réticences aussi liées à la personne, vis-à-vis de son background (Warner, I2P0), de la volonté d'amener les studios via sa nomination, ou aussi le fait de mettre une personnalité allemande à la tête du fleuron des festivals français.
Le principal opposant, dans la fronde contre sa nomination, fut apparemment Pascal Rogard, le directeur général de la SACD (« Le profil me choque (...). Nommer quelqu’un qui défend le cinéma américain, pour moi qui ai tant défendu les intérêts du cinéma français, c’est difficile à comprendre. (...) On nomme quelqu’un du business parce que le Festival est devenu un business. Ni Mitterrand ni Chirac n’auraient fait ce type de choix »).
"L'affaire" semble à présent éteinte – d'autant plus que cette édition est encore sous la présidence Lescure (Iris Knobloch ne passera que six jours sur place, voulant visiblement stratégiquement se faire discrète pour l'instant pour ne pas alimenter les tensions).