Une question qui m'a plusieurs fois été posée par des élèves, et à laquelle je n'ai jamais su répondre.
Il n'est pas rare, dans certains films de genre des années 60-70 (je ne parle pas des nanars ou des séries Z, mais vraiment de la production de genre B reconnue et célébrée, celle de la Hammer, de la Shaw...), que je trouve une dimension comique - dont je ne sais pas très bien, vu d'aujourd'hui, si elle était un effet voulu, ou un accident. Par exemple, dans cette scène d'un film type de la Shaw Brothers, les Griffes de Jade (Ho Meng-hua, 1971) :
Plusieurs moments peuvent paraître amusants, de par leur exagération :
- 0'30 : les cris outrés et leurs zooms répétés
- 1'07 : la caricature du personnage à moustaches fines qui se tourne vers la caméra
- 1'36 : le mix cri strident / zoom rapide pour dévoiler le personnage + la musique coup de théâtre
- 1'58 : le figurant qui se "jette" dans l'eau presque tout seul
- 2'40 : la grimace tordue finale du mec à moustache qui crève
Tout ça n'est pas que subjectif : ce sont les moments où mes élèves rient, aux même passages tous les ans. Et où je souris aussi.
Sauf que je ne sais pas comment le prendre. Comme de la comédie pure, dans des films friands du mélange des genres et des tons ? Comme un accident, du ridicule découlant d'un style peu économe et peu subtil dans ses effets ? Comme une semi-conscience, un humour semi-parodique du cliché de ses propres codes (puisque ces films les déclinaient et ressassaient par centaines) ?
L'explication instinctive, pour moi, c'est de considérer le cinéma de genre de l'époque comme un truc uniquement basé sur le plaisir.
"Moi spectateur, je veux voir des femmes nues" > le film m'en montre sans chichis ni excuses intellectuelles.
"Moi spectateur, je veux jouir de l'horreur" > on va mettre plein de sang bien rouge partout.
"Moi spectateur, je veux voir ÇA, CET objet, CE personnage" > la caméra zoome dessus directement sans manières...
Donc je me dis que le rire passager n'est peut-être qu'une expression de ce mix général de "recherche de plaisir", directe et sans filtre : ça fait partie de la fête que ce sont ces films, on contente le spectateur par tous les bouts.
Plusieurs choses encouragent cette lecture. Par exemple le fait que les films de Russ Meyer, iconiques du cinéma d'exploitation de l'époque, étaient teintés d'un humour pour le coup indéniablement volontaire, façon "ne nous prenons pas au sérieux". Idem dans le cinéma de Burton, perfusé au cinéma bis de cette époque et à son ton, ses réflexes, et qui fait souvent preuve d'un humour joyeux et inattendu qui n'a pas peur de ce genre des mélange. Ou encore le fait que certains films de la fin de la période, comme House (1977, on est encore tôt), qui n'est pas un film de salle de quartier mais justement un blockbuster tout public qui regarde le genre, qui fait un pas de recul sur les formes et tics du cinéma de genre, prend lui aussi automatiquement une pente parodique, comme si elle y était latente :
Mais bref, je n'ai aucune preuve, ni n'ai jamais discuté avec un spectateur de ces films à l'époque. Et donc je me demande : concrètement, les spectateur de salles de quartier, à l'époque, les fans, ils rient de ces films ? De bon cœur, ou seulement quand ils jugent un passage raté ? Ça fait partie du trip ? Ça fait partie des intentions des réals ? Et est-ce (déjà) un élément servant à moquer et minorer ce cinéma par le reste du public ou de la presse ?
Est-ce qu'on a des textes ou des témoignages qui parlent de ça ? (ou des gens qui, spectateurs de l'époque, pourraient en parler ?)
Ou bien est-ce notre regard anachronique, parce qu'habitué à ces normes exagérées qui sont devenus avec le temps de gros clichés, qui y voit du ridicule ?