Alors qu’il fait visiter ses locaux de la rue Lacharrière, en cette fin octobre, toujours sans évoquer le fond du dossier judiciaire, Serge Bromberg poursuit l’explication du fonctionnement de sa société : « Une fois les films scannés, on les dépose ensuite au Centre national du cinéma » de Bois-d’Arcy (Yvelines), qui est équipé pour les conserver en toute sécurité. « Nous n’avons aucune vocation à stocker des films, mais à s’en débarrasser sitôt que possible. » A Vincennes, plaide-t-il, le local ne servait que de « stock tampon » : « Quand il y avait plus de 50 bobines, cela partait au CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée]. »
Aux policiers qui l’interrogent, Serge Bromberg assure avoir demandé à maintes reprises à l’institution de stocker les bobines de nitrate qui s’entassaient dans son local. A l’appui de sa version, il a produit un mail du 31 août 2018, envoyé à la directrice adjointe du patrimoine du CNC, Béatrice de Pastre, à qui il demande de prendre en charge le stockage de 276 bobines. « Les problèmes d’amiante [le CNC avait entrepris de désamianter les portes des compartiments où sont sauvegardés les « films flamme »], les grandes chaleurs, le manque de place, écrit-il, ont été autant de raisons de remettre à plus tard, mais il me semble important aujourd’hui d’entamer une démarche de nouveaux dépôts de films nitrate au CNC. Donner un toit à ces boîtes dans des conditions loin d’être optimales n’entre pas dans nos missions. »
Le lendemain, Béatrice de Pastre répond que, à Bois-d’Arcy, « les travaux ont pris du retard ». Accueillir de nouvelles bobines, pense-t-elle « ne se fera pas avant début 2019 ». Réponse de Bromberg : « Nous attendrons sagement, mais ce serait vraiment bien si tu pouvais nous indiquer quand la possibilité de déposer sera revenue, en espérant que ce sera avant les chaleurs de 2019. Nous avons donc beaucoup de temps. »
Le producteur dit avoir relancé le CNC plusieurs fois, à l’oral par la suite. « Ils ne m’ont jamais informé que cette non-réception durerait aussi longtemps, déplore-t-il face aux enquêteurs. A chaque fois, j’avais la même réponse, jamais un non définitif, mais un report imminent, du style “on va voir” ou “on s’en occupe”. » Le cinéphile considère par ailleurs que le CNC a une forme d’obligation de stocker ses films.
Entendu à son tour par les policiers, Laurent Cormier, directeur du patrimoine du CNC, juriste de formation, livre un autre récit. Non, l’institution n’a pas d’obligation de stocker toutes les bobines de nitrate (le dépôt légal des films, dont il est dépositaire, n’a été mis en place qu’en 1977, bien après la disparition de ce type de pellicules). Le site du Bois-d’Arcy, où sont stockées 1 500 tonnes de « films flamme », accueille déjà, précise-t-il, 1 517 boîtes pour Lobster Films, et 3 534 aux noms de Bromberg-Lange. Oui, Laurent Cormier savait que Bromberg avait un stock « en pleine campagne, en Normandie, et quelques films au siège de son entreprise à Paris ». Mais il insiste : « J’ignorais, et tout le personnel aussi, l’existence du stock de Vincennes. »
Le dirigeant du CNC estime que le collectionneur s’est laissé déborder. Le Bois-d’Arcy ne pouvant prendre ses bobines, il aurait dû, indique M. Cormier, « s’équiper lui-même d’installation adaptée, chercher un autre prestataire de stockage, ou répartir son stock sur plusieurs sites en surveillant les conditions de conservation, de température et de décomposition ».